« Une tache indélébile dans l'oeuvre de Dieu ». / La souffrance des enfants justifie-t-elle l'athéisme?

Il y a peu, j'ai découvert en lisant un livre d'André-Compte Sponville, un philosophe que je ne connaissais hélas, que de nom; Marcel Conche. Le livre en question s'intitulait Pensées sur l'athéisme, et comme André-Comte, partage souvent à la fin de ses livres, quelques extraits d'écrits de philosophes en lien avec le thème abordé, j'ai pu lire un extrait d'Orientation Philosophique, avec lequel j'ai tout de suite noué des liens significatifs. Il y était question du problème de Dieu et de la morale. En effet, Conche y met face à face la croyance en Dieu et ses propres contradictions, d'une manière que je trouve tout simplement remarquable ; à travers la souffrance des enfants. Il convient d'en lire les extraits en premier lieu :


« La souffrance des enfants devrait suffire à confondre les avocats de Dieu. […] .
C'est que la souffrance des enfants est un mal absolu (un tel mal garde son caractère dans quelque contexte qu'on le considère), une tache indélébile dans l'œuvre de Dieu, et elle suffirait à rendre impossible une théodicée quelconque. […].
            Quelle a été la volonté de Dieu? Non certes, que le mal résulte de la liberté, mais néanmoins que vienne à l'existence un monde où il se trouve qu'il en résulte. Or si la liberté, c'est la possibilité du mal, non le mal lui-même, Dieu aurait pu vouloir un monde où il y aurait eu la liberté sans le mal (au moins le mal comme souffrance infligée). Les humains eussent été libres, et pourtant eussent été justes. Ils auraient formé de tout temps une société équitable. Or, il suffit qu'ils aient pu le faire pour que Dieu ait dû choisir un monde où ils l'aient fait. Ou, en d'autres termes : puisque le péché originel fut libre et non nécessaire, Dieu aurait pu choisir un monde où il y aurait eu la liberté sans la chute.
En quoi nous ne voulons pas nier ou en rien diminuer la faute des hommes. Simplement nous nous limitons à examiner la cause de Dieu. Si Dieu est, il est, absurdement, le grand Complice qui, lui, nécessairement (à la différence de l'homme), sait toujours ce qu'il fait. On me dit que ce " faire " se borne, lorsqu'il s'agit des hommes, à les laisser faire, tout en sachant ce qu'ils vont faire. Plaisante excuse. Puisqu'il pouvait faire qu'il n'y ait pas le mal, c'est par lui qu'il y a le mal…"

("Raison Présente" N° 7 et "Orientation Philosophique")

     "Du reste, la thèse même selon laquelle la liberté enveloppe la possibilité du mal est on ne peut plus contestable. La liberté que le chrétien accorde à Dieu n'implique d'aucune façon la possibilité du mal : donc, ce qui implique la possibilité du mal, ce n'est pas la liberté comme telle. Est-ce la liberté finie (humaine) ? Mais la liberté et la capacité de mal sont évidemment en relation inverse. Non seulement il y a des degrés de liberté, mais devenir plus libre, c'est devenir moins capable de mal. A la limite, le sage (Socrate si l'on veut) a perdu jusqu'à la capacité de mal faire. D'où vient cela ? C'est que l'Homme, étant un être raisonnable, peut faire un usage raisonnable de sa liberté. Une telle liberté raisonnable est la vraie liberté, et pourtant elle n'est plus capable de mal."[…]

"Croire en l'existence d'un Dieu créateur du monde serait admettre la possibilité (du supplice des enfants).   Ainsi d'un point de vue moral, je n'ai pas le droit de croire, je ne puis croire en Dieu. "Il est moralement nécessaire d'admettre l'existence de Dieu" dit Kant; sur ce point le renversement du kantisme s'impose inévitablement, et il faut dire: il est moralement nécessaire de nier l'existence de Dieu. »

(Raison Présente Nos 7,9 et 10 – Cf aussi "Orientation philosophique – La souffrance des enfants comme mal absolu")

   Dans un premier temps, Marcel Conche définit ce qu'est le mal absolu. Est absolu, ce qui ne dépend de rien, ce qui, par aucun moyen que ce soit, ne peut-être remis en question. Ainsi, Conche définit le mal absolu comme la souffrance des enfants. Il est absolu, car, l'enfant, contrairement à l'adulte, ne possède pas les armes nécessaires à la résistance à la souffrance. Là où l'adulte peut se « faire une raison », et faire preuve de résistance, l'enfant lui, est seul et livré à lui-même dans l'incompréhension totale, trop fragile et innocent. Et, relativement à la croyance en Dieu, se pose un problème ; comment Dieu, s'il existait, pourrait-il être à l'origine et responsable de ce même mal ? La problématique est donc la suivante ; Est-ce une loi nécessaire d'un point de vue moral, de nier l'existence de Dieu ? Cette question à priori paradoxale, prend tout son sens après lecture de ce texte, qui fournit des arguments assez puissants pour répondre « oui » à la question. Dans un premier temps, Conche nous démontre en quoi Dieu est à l'origine de l'existence du mal. Ensuite, il nous démontre, à travers la proposition d'un nouveau concept de la liberté, que celle-ci ne peut pas être à l'origine du mal. Il peut ainsi conclure avec sa thèse, en affirmant qu'il est nécessaire, moralement parlant, de nier l'existence de Dieu.

  Dieu, dit Conche, n'a pas voulu le mal en lui-même, mais en est à l'origine parce qu'il crée un monde où celui-ci est possible à travers la liberté. Or, créer ce monde-ci, plutôt qu'un autre, suppose en même temps que Dieu ait pu faire autrement. Dieu fait l'Homme libre, mais tout en laissant possible le mal. Or, dit, Conche, Dieu aurait pu faire un monde où les Hommes, bien que libres, aurait étés cependant justes, et parce qu'il ne le fait pas, il est responsable de l'existence du mal. Et ce, car la liberté n'est pas le mal, mais la «possibilité» du mal.

   Il n'était pas nécessaire pour Conche, que Dieu choisisse un monde dans lequel le mal ressorte de la liberté. Et ceci s'explique en ce que le pêché originel, était « contingent et non nécessaire ». Pour que le mal soit nécessaire, il aurait fallu que le pêché originel le soit aussi, or, on le sait, mais rappelons-le ; le pêché originel n'était pas censé se produire, puisqu'il s'agit d'une « rupture brutale » avec l'ordre instauré par Dieu. et, dans la mesure où ce pêché aurait pu ne pas être commis, le mal non plus, aurait pu ne pas être.

   Dès lors, Dieu est responsable du mal, et l'a en quelque sorte « voulu ». Il en résulte qu'il est le « Grand Complice ». La responsabilité de Dieu se caractérise selon Conche, dans le fait que, contrairement aux hommes, lui, sait absolument tout ce qu'il fait puisqu'il est parfait, ce qui accentue d'autant plus sa responsabilité. Enfin, l'auteur souligne bien le fait que Dieu ne peut pas être écarté du mal, et ce, même avec l'argument selon lequel il observerait les hommes agir, tout en sachant en avance ce qu'ils vont faire, car, étant à l'origine de l'existence du monde, ce qui s'y passe se trouve sous entière responsabilité. Dieu laisse les hommes agir tout en sachant ce qu'ils vont faire, mais est en même temps à l'origine de ce qu'ils vont faire.
 
   Il nie ensuite la première conception de la liberté, comme incluant la possibilité du mal. Il y a pour lui, plusieurs degré de liberté ; la liberté et la possibilité du mal ne coïncident pas. Etre libre, c'est perdre la capacité de faire du mal. Elle réside donc dans une maîtrise de la liberté. Etre libre et le savoir, donc savoir ce qu'il nous est possible de faire, suppose aussi que l'on puisse savoir ce qu'il est bon ou mauvais de faire. Or, une méconnaissance de cette réalité selon Conche, nous éloigne de la véritable liberté, elle nous rend «moins libre». La liberté véritable se révèle en Socrate, qui lui, n'est plus apte à faire le mal. La raison est donc une ouverture sur la véritable liberté.

   Il peut donc renverser l'argument des moralistes et des religieux ; admettre que Dieu existe, c'est admettre aussi le supplice des enfants, c'est l'accepter comme étant justifiable. Or, mêler l'existence de ce mal, à l'existence d'un Dieu créateur, c'est bouleverser son essence de Dieu essentiellement bon.C'est en faire un «Dieu coupable». Nier l'existence de Dieu est donc non-seulement logique, puisqu'il s'agit d'un accord avec son concept, mais aussi d'un point de vue moral, contrairement à ce que pensait Kant. Pour qu'une morale soit possible, il faut nier l'existence de Dieu, car celle-ci ne coïncide en aucun cas avec la souffrance.

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