La philosophie est-elle à craindre ? - Immersion dans la pensée de Kant et d'Aristote et Introduction générale à la philosophie pour les futurs élèves de terminale

Quand on est en classe de première, l'une des craintes du passage en terminale, est la philosophie. Cette fameuse discipline crainte par les étudiants des années précédentes, qui y voyaient eux également le cauchemar des années lycée. Mais d'ou vient cette crainte ? Craindre, c'est appréhender, redouter une chose, en tant qu'elle n'est pas encore là. Mais finalement, à bien y réfléchir, on remarque que cette crainte est due à une méconnaissance, elle-même due, à une méprise sur ce qu'est la philosophie. On confond en effet volontiers l'enseignement philosophique, et ce qu'est la philosophie. Si l'on interrogeait les futurs élèves de terminale sur les raisons pour lesquelles ils redoutent tant la philosophie, il est certain que les réponses seraient à peu près identiques : " cela réclame une intelligence hors du commun". Mais pourquoi les élèves en arrivent-t-il à voir la philosophie comme un paresseux voit le sport ? A cette question, je réponds d'une chose ; ils se trompent sur la nature de cette discipline. 

Craindre la philosophie pour un élève de terminale, c'est voir la philosophie comme l'application d'une
Le Penseur de Rodin
recette réclamant des années d'expérience culinaire. Autrement dit, la philosophie serait une discipline dans laquelle on évaluerait l'intelligence des individus,ou plutôt, les esprits déjà philosophes. Si l'on définit la philosophie ainsi, comme une discipline déterminée, essentielle et rigoureuse, alors oui, la crainte de la philosophie est justifiée, car dès lors, on pourrait dire d'elle qu'elle n'est pas destinée à tout le monde, dans la mesure où, comme dans les sports divers, d'autres sont plus entraînés, donc, nécessairement plus performants que d'autres. Mais cette définition en plus d'être fausse, est productrice d'une crainte irrationnelle. La philosophie ne sélectionne en aucun cas les esprits, mais s'adresse à tous les hommes dans la mesure où sa manière même de définir l'homme, n'en exclut aucun. En philosophie, on définit l'homme comme un être doué de raison. Or, cette définition, rend universelle la philosophie, puisque anomalie naturelle mise à part, tous les hommes sont doués de raison. Ainsi,nous venons de mettre en évidence la première raison pour laquelle la philosophie n'est pas à craindre. Mais d'autre part, la philosophie ne fait pas de mal aux hommes dans le sens où il s'agit d'une discipline proprement humaine, et qui ne réclame pas d'effort physique, mais un certain effort de pensée. Pourquoi craindre quelque chose qui ne nous fait aucun mal ? C'est la seconde raison pour laquelle la philosophie n'est pas à craindre. Maintenant, il faut rétablir comme il se doit, la distinction entre l'enseignement philosophique, et la philosophie en elle-même. En philosophie, on ne parle pas d'apprentissage de la discipline, car la philosophie n'a pas de règle, et est par essence une discipline libre et totalement gratuite. On peut même, à pousser la réflexion plus loin, lui trouver une certaine inutilité, (bien qu'il faille toutefois prendre garde à ne pas confondre gratuité et inutilité, car la philosophie, peut aider à régler des problèmes centraux de la société), dans la mesure, où, si l'on parle d'utilité pour la philosophie, on en fait immédiatement une activité non-accessible à tous les hommes, puisque réclamant une expérience préalable, comme la menuiserie, qui réclame un artisan ayant appris et expérimenté le maniement du bois. La philosophie est tout le contraire, car elle fait appel à une faculté propre à tous les hommes, à savoir, la pensée. Cette liberté de la philosophie n'est pas un rêve que l'on essaierait de vous vendre, car dès l'antiquité, avec le philosophe Grecque, Aristote, l'évidence de cette liberté apparaît. Il convient mieux de lire le texte pour mieux comprendre :


« Ce fut l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent à résoudre des problèmes plus importants, tels les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l'univers. Apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance (et c'est pourquoi aimer les mythes est, en quelque manière se montrer philosophe, car le mythe est composé de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu'ils poursuivaient la science en vue de connaître et non pour une fin utilitaire. Ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve : presque tous les arts qui s'appliquent aux nécessités, et ceux qui s'intéressent au bien-être et à l'agrément de la vie, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Il est donc évident que nous n'avons en vue, dans la Philosophie, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre, car seule elle est à elle-même sa propre fin.»

                                                                                                                              ARISTOTE
                                                                                                 Métaphysique, A, 2, 982 b10-25


Aristote
On voit bien là avec quelle force Aristote distingue la philosophie des autres disciplines à visée proprement pratique, étant donné que la philosophie est une science ne visant pas des effets pratiques, donc lucratifs, mais qui vise la connaissance en elle-même. La philosophie n'est rien d'autre finalement, qu'une recherche de la connaissance pour la connaissance elle-même, c'est pourquoi on dit d'elle qu'elle est une discipline gratuite. Mais la connaissance nous fait-elle un quelconque mal ? Il paraîtrait irrationnel de répondre par la positive dans la mesure où être scolarisé, c'est avant tout vouloir connaître.  Il est en ce sens enrichissant de s'intéresser à la philosophie, mais aussi  à cette oeuvre d'Aristote, Métaphysique, dans la mesure où elle permet de saisir mieux ce qu'est la philosophie, et parce qu'elle répond assez clairement à un sujet du bac demandant : "Peut-on reprocher à la philosophie d'être inutile ?". La réponse que l'on pourrait proposer avec Aristote, c'est que c'est peut-être son inutilité qui fait toute la qualité de la philosophie puisque sans but clairement énoncé, et sans effets pratiques exigés, la philosophie est une discipline que l'on peut qualifier de "libre" . Or, quand on a pris conscience de la liberté de la philosophie, la question devient : Peut-on reprocher à la philosophie d'être libre ? On peut donc répondre par la négative puisque la liberté ne peut pas faire l'objet d'un reproche, dans le sens où elle n'est pas un défaut. Il ne s'agit pas ici d'un moyen de vous aider à de plus craindre la philosophie, mais de vous montrer en quoi, loin d'être un objet de crainte, la philosophie devrait être un objet d'enthousiasme. Mais il ne faut pas pour autant penser qu'elle ne réclame aucun effort, car comme dans tout projet, la volonté y est tout de même nécessaire. En fait, si on se concentre bien sur le début du texte, on comprend que finalement, ce qu'on attend en philosophie, c'est la capacité de l'individu à s'étonner lui-même, car philosopher, c'est se rendre compte que ce qu'on a toujours pensé se révèle être faux, et que les stéréotypes et les mythes qui structurent notre vie n'étaient qu'un leurre. Cette prise de conscience, se nomme "étonnement", et c'est selon Aristote, la base même de la philosophie. Mais en quoi cet étonnement est nécessaire ? Parce que la prise de conscience de cette erreur fait mal, et appelle à une réflexion rationnelle sur les choses.   Le problème des effets et de la visée de la philosophie étant réglé, il faut se demander maintenant, ce que l'on peut apprendre d'une discipline dont l'essence est la gratuité. Cette question en enveloppe une autre : Apprend-t-on la philosophie ?

Ça sonne certainement comme une répétition, mais j'insiste sur le fait que la philosophie ne s'apprend pas, puisqu'elle n'a pas de règle, il ne s'agit pas d'un métier d'expérience. Pourtant, on continue à penser qu'on apprend la philosophie. Peut-être que la parole d'un philosophe de grande renommée pourra nous rassurer. Emmanuel Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle, le disait clairement dans une de ces citations devenue culte : "On n'apprend pas la philosophie, on apprend à penser par soi-même." Il convient mieux encore une fois de s'intéresser au texte lui-même par souci d'authenticité et de confiance, on explicitera ensuite de manière un peu plus profonde  :


 « La philosophie n'est vraiment qu'une occupation pour l'adulte, il n'est pas étonnant que des difficultés se présentent lorsque l'on veut la conformer à l'aptitude moins exercée de la jeunesse. L'étudiant qui sort de l'enseignement scolaire était habitué à apprendre. Il pense maintenant qu'il va apprendre la Philosophie, ce qui est impossible car il doit apprendre à philosopher. Je vais m'expliquer plus clairement : toutes les sciences qu'on peut apprendre au sens propre peuvent être ramenées à deux genres : les sciences historiques et les sciences mathématiques. Aux premières appartiennent, en dehors de l'histoire proprement dite, la description de la nature, la philologie, le droit positif, etc. Or dans tout ce qui est historique l'expérience personnelle ou le témoignage étranger, - et dans ce qui est mathématique, l'évidence des concepts et la nécessité de la démonstration, constituent quelque chose de donné en fait et qui par conséquent est une possession et n'a pour ainsi dire qu'à être assimilé : il est donc possible dans l'un et l'autre cas d'apprendre, c'est à dire soit d'imprimer dans sa mémoire, soit dans l'entendement, ce qui peut nous être exposé comme une discipline déjà achevée. Ainsi pour pouvoir apprendre aussi la philosophie, il faudrait qu'il en exista réellement une. On devrait pouvoir présenter un livre et dire : « Voyez, voici de la science et des connaissances assurées ; apprenez à le comprendre et à le retenir, bâtissez ensuite là-dessus et vous serez philosophes » : jusqu'à qu'on me montre un tel livre de Philosophie, sur lequel je puisse m'appuyer à peu près comme sur Polybe pour exposer un événement de l'histoire, ou sur Euclide pour expliquer une proposition de Géométrie, qu'il me soit permis de dire qu'on abuse de la confiance du public lorsque, au lieu d'étendre l'aptitude intellectuelle de la jeunesse qui nous est confiée, et de la former en vue d'une connaissance personnelle future, dans sa maturité, on la dupe avec une Philosophie prétendument déjà achevée, qui a été imaginée pour elle par d'autres, et dont découle une illusion de science, qui ne vaut comme bon argent qu'en un certain lieu et parmi certaines gens, mais est partout ailleurs démonétisée. La méthode spécifique de l'enseignement en Philosophie est zététique, comme la nommaient quelques Anciens, c'est-à-dire qu'elle est une méthode de recherche. Et ce ne peut être que dans une raison déjà exercée qu'elle devient en certains domaines dogmatique, c'est-à-dire dérisoire. »

                                                                                                                               KANT
              Annonce du programme des leçons de M. E. Kant durant le semestre d'hiver 1765-1766,
                                                                                          tr. fr. M. Fichant, Vrin, pp. 68-69


Emmanuel Kant
Le propos de Kant est assez clair pour qu'on n'ait finalement, pas besoin de l'expliquer. Mais pour être certain de bien saisir le texte, on peut tout de même en reprendre les idées principales. Kant, fait, peut-être d'une meilleure manière que la mienne ou celle d'Aristote, la distinction entre les disciplines dont l'apprentissage est déjà construit dans la mesure où le but en est déjà donné, et la philosophie, qui, finalement, n'a pas de définition : « Pour pouvoir apprendre aussi la philosophie, il faudrait qu'il en exista réellement une . » Dans cette affirmation, l'idée est de montrer qu'on peut définir le but des mathématiques, ou de la recherche historique, étant donné que des méthodes propres à chacune d'elles sont connues, et donc, des exigences liées à l'apprentissage de chacune d'elles sont présentes aussi. Or, la philosophie, parce qu'elle n'a rien de définit préalablement, n'a pas de détermination particulière, c'est pourquoi Kant dit qu'il n'en existe aucune qui puisse être qualifiée de légitime. Si on a bien compris le texte d'Aristote, on peut trouver beaucoup de similitudes avec celui de Kant, car la manière dont Kant défend son point de vue, est finalement la même que celle d'Aristote, à la seule différence que Kant part d'un point de vue plus précis, à savoir, les conséquences de la liberté de la philosophie. En somme, ce qu'on peut dire après la lecture de Kant et d'Aristote, c'est que, la philosophie, parce qu'elle est libre, ne s'apprend pas. Mais cependant, à en rester là, on se limite à démontrer qu'il n'est d'aucune utilité de mettre en place les cours de philosophie à l'école, puisque la liberté de la philosophie et le fait qu'elle
s'adresse à tous les hommes, font que chacun peut la pratiquer à sa guise, mais c'est là l'erreur, et c'est ce que met en évidence Kant, dans son texte. 

Puisque l'on a distingué avec force la philosophie des autres disciplines, qu'on a vu qu'elle ne s'apprenait pas en ce sens, on peut désormais terminer en affirmant en chœur avec Kant, qu'on n'apprend pas la philosophie, mais qu'on apprend à philosopher. Pourquoi ? Parce que la méthode de l'enseignement de la philosophie, dit Kant, est une méthode de recherche. En ce sens, apprendre la philosophie, ce n'est pas mettre en pratique une méthode relevant de l'expérience antérieure, mais apprendre à diriger correctement une faculté que l'on a déjà, et que tous les hommes possèdent, à savoir la raison. Partons, si l'on veut mieux comprendre, du texte d'Aristote; une fois que l'on s'est étonné, on éprouve, comme nous l'avons montré, le besoin d'explication rationnelle des phénomènes qui nous ont préalablement bouleversés, mais sans méthode de recherche pour parvenir à la vérité, nous nous trouverons sans-cesse dans des embarras, qui finalement, loin de nous rapprocher de la vérité, nous en éloignerait fortement. Comment remédier à ce problème ? C'est là que l'enseignement philosophique entre en jeu. Ainsi, avoir des cours de philosophie, ce n'est pas apprendre une discipline, mais apprendre une méthode de recherche, permettant de mieux pratiquer cette discipline. On n'attend donc pas des élèves qu'ils soient philosophes, mais plutôt qu'ils usent au mieux de cette méthode de recherche. Ce qu'on vous apprendra en terminale, c'est donc une méthode pour mieux diriger votre intelligence.

Faut-il donc craindre la philosophie ? En aucun cas, puisqu'elle ne vise que l'entretient de notre esprit. Ainsi, au lieu d'en avoir peur, il faut plutôt s'en réjouir, et essayer de prendre de l'avance, de plonger dans le milieu, comme dirait l'autre ! Et, si vous êtes en train de lire cet article, vous ne faites finalement rien d'autre que cela ! Ne craignez-donc plus rien, laissez-vous plutôt emporter par la vague douce de l'avancée de la pensée philosophique. Philosopher, n'est rien d'autre que pratiquer ce que l'on est capable de pratiquer. Si l'homme est doué de raison, ce n'est pas pour être crédule, mais plutôt pour douter des évidences lui ôtant la possibilité de douter. Philosopher, c'est donc faire ce qu'on est censés faire, donc, se poser des questions de manière à parvenir le mieux possible, à la vérité. Remerciez toujours vos professeurs, qui font un métier des plus formidables, et qui vous propulsent vers ce que vous n'étiez pas jusqu'à recevoir leur enseignement. ( Sinon, vous pouvez aussi vous lancer à l'avance dans un avant goût de la méthode de pensée, à travers un philosophe français, René Descartes, qui dans son oeuvre : Le Discours de la Méthode, propose une méthode à pratiquer pour mieux diriger sa raison et mieux parvenir à la vérité.) 









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